FedEx: l'homme par qui le changement arrive

Fred Smith, directeur général de FedEx, a rompu les liens avec Amazon, délaissé les services postaux et tout misé sur le e-commerce, menant une refonte en profondeur du géant de la livraison qu’il a fondé il y a près d’un demi-siècle.

La raison ? La confiance qu’il porte à Raj Subramaniam, l’homme qui devrait selon toute vraisemblance lui succéder.

Les récents changements adoptés par FedEx trouvent leur origine dans des rapports que cet Indien, recruté comme spécialiste du marketing, a préparés pour Fred Smith et le conseil d’administration. Sur plusieurs centaines de pages, ces documents brossent le portait du nouveau FedEx, cap sur le commerce en ligne inclus, et reviennent sur le chemin que le groupe a parcouru pour devenir un acteur à part entière du commerce électronique.

« Nous avons dû nous adapter et suivre l’évolution du marché, commente Raj Subramaniam, nommé directeur des opérations l’an passé et élu membre du conseil de FedEx en janvier. Nous avons pris des décisions très, très audacieuses. »

FedEx, qui a livré des années durant des millions de colis postaux à travers les Etats-Unis, a commencé à réduire sa dépendance vis-à-vis de cette activité. Le groupe s’est lancé dans les livraisons sept jours sur sept (contre six auparavant) pour satisfaire la soif inextinguible des Américains pour le shopping sur Internet, et propose aussi des services innovants de livraison rapide à domicile depuis des magasins physiques. FedEx s’est également rapproché des distributeurs pour ajouter des milliers de nouvelles enseignes, notamment en zone rurale, à son réseau de livraison.

« C’est lui qui a fait les recherches et planifié la stratégie que nous menons aujourd’hui, a récemment déclaré Fred Smith dans un entretien. Dans la lettre comme dans l’esprit, Raj en est l’architecte. »

Le mois dernier, Raj Subramaniam, entré chez FedEx il y a trois décennies, a annoncé une décision choc : un projet de rapprochement des deux grandes divisions qui, historiquement, ne gèrent pas les mêmes colis. D’un côté, Express est chargée des colis prioritaires, transportés par avion, souvent avec une heure de livraison garantie. De l’autre, Ground, plus lente, s’appuie sur un réseau de camions et cible plutôt un jour de livraison. Désormais, FedEx confiera certains colis à la division Ground si elle réussit à respecter les horaires promis. Alors que les investisseurs réclamaient depuis des années l’intégration des deux activités pour réduire les coûts, Fred Smith faisait la sourde oreille, affirmant qu’il fallait coûte que coûte protéger la promesse de rapidité d’Express.

Analystes et investisseurs ont salué la décision, estimant qu’elle pourrait permettre à FedEx d’économiser plusieurs centaines de millions de dollars par an. Une piste intéressante quand on sait que les bénéfices du groupe sont en repli et que l’action a chuté de près de 30% l’an passé.

Enfant de la classe moyenne indienne, Raj Subramaniam, qui a fêté ses 54 ans mercredi, ne se voyait pas franchement travailler pour un géant de la livraison. Son père, commissaire de police, et sa mère, médecin, lui ont donné le goût des études. Et il avait plutôt la bosse des maths.

« Il fallait être bon soit en maths, soit en biologie, raconte Raj Subramaniam. Pour devenir soit ingénieur, soit médecin. »

Après un diplôme en ingénierie de la chimie, il quitte son pays pour la première fois. Direction l’Université de Syracuse, dans l’Etat de New York, où il obtient une bourse et un master. Puis l’Université du Texas, où il termine son MBA au moment de la récession du début des années 1990. C’est alors qu’il se met en quête d’un emploi. L’un de ses colocataires, qui avait décidé de rentrer chez lui plutôt que d’envoyer sa candidature, lui donne le numéro de téléphone d’un recruteur de FedEx.

C’est ainsi que Raj Subramaniam est embauché comme assistant analyste marketing. Six mois plus tard, lors d’une réunion trimestrielle, il évoque les perspectives internationales de FedEx, affirmant que le groupe doit se placer dans une optique commerciale pour développer son réseau et ses services. « Je leur ai dit “je maîtrise le marketing, confiez-moi le dossier” », raconte-t-il.

S’ensuit une ascension au sein du groupe, d’abord au marketing, puis dans des postes internationaux de prestige.

FedEx s’intéresse depuis peu au e-commerce. Jusqu’à récemment, le groupe était concentré sur son cœur de métier : facturer des frais supplémentaires aux entreprises pour livrer leurs colis en priorité, par les airs ou par la route. Il ne transportait les commandes passées sur Internet que jusqu’au bureau de poste local, où d’autres sociétés se chargeaient d’acheminer les commandes chez les clients. FedEx n’avait pas beaucoup hésité à céder son activité de livraison à domicile, moins rentable, à UPS.

L’explosion du commerce électronique, les difficultés financières de la poste américaine et le déclin de la demande pour les livraisons Express ont poussé le groupe à repenser sa stratégie.

La réinvention est également passée par un divorce avec Amazon, géant mondial du e-commerce. En effet, FedEx est convaincu que le monde regorge de sites de vente en ligne dont la croissance est assez rapide pour faire fonctionner son réseau de livraison. Et craignait aussi de lier une part non négligeable de son activité à un groupe qui se charge de plus en plus d’effectuer lui-même les livraisons.

« Nous sommes heureux d’avoir diversifié notre clientèle », a déclaré Raj Subramaniam. Le fait de ne plus avoir Amazon comme client permet à FedEx de se rapprocher de distributeurs qui font de plus en plus d’ombre au géant. « C’est la bonne stratégie pour FedEx dans la durée. »

UPS, qui a généré l’an passé près de 12% de son chiffre d’affaires grâce à Amazon, déclare de son côté que cette relation commerciale est « mutuellement bénéfique » et que le groupe étoffe ses services pour toucher davantage de commerçants.

Deux départs en retraite inopinés ont propulsé Raj Subramaniam sous le feu des projecteurs. Celui du patron historique de la division Express, tout d’abord, dont le poste a été confié à Raj Subramaniam. Et, quelques mois plus tard, celui de David Bronczek, directeur des opérations, peu après sa nomination au conseil d’administration. Nouvelle promotion.

L’élection de Raj Subramaniam en janvier dernier a confirmé son rang de dauphin de Fred Smith. Qui, à 75 ans, n’a aucune intention de démissionner. « Pour ce que j’en sais, je suis en bonne santé, a-t-il déclaré, précisant qu’il avait gagné un match de tennis en trois sets avec son club. Je ne souffre d’aucune affection susceptible de m’empêcher de faire mon travail. »

Raj Subramaniam et FedEx ont bien d’autres défis à relever, à commencer par les turbulences que traverse le commerce international, l’atonie de la production industrielle et les répercussions probables du coronavirus, que les analystes jugent préjudiciable pour le transport aérien. Raj Subramaniam devra également superviser l’interminable intégration de TNT, spécialiste européen des colis.

Les missions qui lui sont confiées sont bien plus ardues que Raj Subramaniam n’aurait pu imaginer quand il a fait ses premiers pas chez FedEx. « Je pensais que j’avais plus de chances de jouer un jour sur le court central de Wimbledon », plaisante-t-il.

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