[VIDEO] Le rugby, marqué par quatre décès en France, est au bord du KO

"On met des moteurs de Formule 1 sur des châssis de voitures de série… Et ça casse !" La métaphore est signée Jean Chazal, neurochirurgien clermontois, ancien membre de la commission médicale de l’ASM. "Le cerveau n’est pas fait pour supporter des forces physiques de cette intensité.

Il est fait pour supporter des forces physiques développées par un homo sapiens qui, quand il mesure 1,80 m pèse 75 à 80 kilos, c’est aussi simple que ça, se désole le médecin. Certains joueurs ne se posent plus de questions, ils essayent de passer à travers la cloison au lieu de chercher la porte ouverte par l’adversaire. Il faut arrêter ce sport de télescopage, c’est ça la solution."

Le témoignage de Yann De Fauverge : "C’est un monde qui s’écroule"

Que vous est-il arrivé le 21 février 2018 ?

Ça a été le tournant de ma vie. J’ai dû aller voir le référent français en matière de colonne vertébrale et de cervicales qui m’a annoncé que le rugby, c’était terminé pour moi. J’étais officiellement G3, je n’ai plus de liquide autour de la moelle épinière. Le canal rachidien s’est rétréci. Si je continuais à jouer, je risquais la tétraplégie. On ne me donnait que quelques mois avant de finir en fauteuil roulant. Mais j’ai évité le pire, j’ai arrêté avant.

Comment s’est passé votre accident ?

Sur un groupé pénétrant, je suis venu pousser. Le maul s’est effondré et j’ai pris 6 ou 7 mecs sur les cervicales. J’ai fait un K.- O., mais je ne parvenais plus à bouger mes extrémités, ma tête, je ne sentais plus mon dos. Une semaine après, le médecin du club m’a fait une IRM et il a vu que j’avais un souci de moelle épinière.

Comment avez-vous réagi ?

C’est un monde qui s’écroule, des années de sacrifice qui tombent à l’eau. Je n’ai que 21 ans, je découvrais le monde pro. C’est une détresse inexplicable. On m’a enlevé une partie de moi-même. Je ne le cache pas, ça fait onze mois et je le vis très mal. Mais je fais avec. J’ai reçu un gros soutien de l’Usap.

Un constat que partage l’ancien international Didier Cambérabero, également invité du forum sport et santé-Sète Agglopôle. Un “Cambé” qui peine à reconnaître son sport. "Ce n’est plus la même chose, souffle-t-il. La grosse différence, c’est qu’à mon époque, la musculation n’existait pas et on s’entraînait deux ou trois fois par semaine. Aujourd’hui, les joueurs font plus de musculation que de technique. On a des piliers qui courent comme des trois-quarts."

"Je ne me souviens de rien"

Également ancienne internationale et conseillère technique sportive auprès de la FFR, Caroline Suné a connu plusieurs commotions. Une expérience qui l’a profondément marquée. "C’était dans le jeu, j’ai continué, j’ai même marqué la pénalité de la victoire. Mais je ne me souviens de rien, témoigne-t-elle. On ne se sent pas bien, on a mal à la tête mais au final, on reprend la compétition."

Pour celle qui est désormais passée du côté de la technique, les efforts doivent porter sur l’information et la formation. "Le seul conseil que l’on peut donner en tant que cadre, c’est de sortir le joueur et de l’envoyer voir un médecin. On insiste aussi sur la sécurité des joueurs. Il y a beaucoup de commotions qui ont lieu à la suite de placages mal réalisés", explique-t-elle.

La solution passe peut-être aussi par un changement des règles du jeu du rugby. Mais ça, Jean Chazal n’y croit pas vraiment. "Les règles, on les a changées. On a déplacé la ligne de placage au niveau de la ceinture en Angleterre mais on s’est rendu compte que le plaqueur se heurtait à un obstacle beaucoup plus rigide et c’est lui qui se blessait, analyse-t-il. On a déplacé les problèmes. Il faut surtout mener une réflexion globale sur les gabarits, les compléments nutritionnels, les moyens d’augmenter artificiellement la musculature. C’est un vaste chantier."

Tout le monde est responsable, tout le monde est dans le même panier

Un chantier qui interroge néanmoins ce spécialiste de la médecine et du rugby. "Oui je suis inquiet, lance Jean Chazal. On m’a plaqué l’étiquette de lanceur d’alerte et même d’emmerdeur. Il y a eu quatre morts en France. Je crois que ce n’est pas le hasard. C’est de la violence.

Chaque cas est le résultat d’une action violente même si elle est licite. 115 kg lancés à 35 km/h, ça enfonce un mur, ou ça détruit un joueur." Pour autant, il ne veut pas condamner son sport. "Je suis passionné par le rugby. J’adore ça et je voudrais sauver le rugby. Mais aujourd’hui, le fair-play, l’éthique, la morale, ça a disparu. Laisser de côté l’hyperpuissance pour revenir à l’évitement."

Reste que pour ce spécialiste, la solution n’arrivera que par la discussion. Et surtout une véritable remise à plat avec toutes les composantes du rugby français. Sans concession.

"Il faut revenir à l’identité culturelle du rugby tout en protégeant la santé des joueurs et leur avenir, plaide-t-il. Mais tout le monde est responsable, tout le monde est dans le même panier. C’est un problème général. Il faut tout mettre sur la table, sans langue de bois et à ce moment, ça marchera." Car pour le rugby français, le temps presse.

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