Pourquoi certains colis venus de Chine pourraient bientôt coûter plus cher

Dix piles bouton vendues 0,88 centimes, un câble iPhone pour la modique somme de 1,19 euro… Le tout sans frais de livraison. Ces offres alléchantes sont devenues monnaie courante sur les plateformes de e-commerce. Consultables sur Amazon, AliExpress, Wish ou Ebay, elles émanent souvent de vendeurs tiers chinois présents sur les marketplace des géants de la vente en ligne.

Difficile en effet de trouver des prix aussi compétitifs lorsque le produit est expédié de France. Notamment parce que, coût du travail oblige, les tarifs d’affranchissement de La Poste sont bien plus élevés que ceux de la poste chinoise. Comptez par exemple 27,65 euros pour un colissimo d’un kilogramme envoyé de France vers l’Empire du Milieu. Dans le sens inverse, China Post réclame 5 yuan (63 centimes d’euros) pour les 50 premiers grammes d’un colis de moins de 2kg à destination de l’Hexagone et 0,09 yuan pour chaque gramme restant.

Mais ces offres à prix dérisoires pourraient être moins nombreuses dans les prochains mois en raison d'un changement d'ampleur qui concerne la méthode de fixation des frais postaux internationaux pour les petits colis. Explications. 

Des tarifs avantageux pour la Chine

Si les tarifs intérieurs de la poste chinoise sont si faibles, c’est en partie parce qu’elle profite depuis 1969 du système des frais terminaux de l’Union postale universelle (UPU), une institution placée sous l’égide de l’ONU et dont le rôle est de "favoriser le bon développement et la coopération des différents systèmes postaux du monde". Concrètement, ce système qui regroupe 192 pays prévoit que l’opérateur postal qui réceptionne un colis soit rémunéré par la poste expéditrice pour couvrir les frais de distribution jusqu’à l’adresse de destination finale. C'est le fameux "dernier kilomètre".

Des tarifs spécifiques sont fixés pour les petits paquets internationaux de moins de 2kg et d’une épaisseur limitée à 3cm. Par exemple, pour un colis de 90g arrivant de Pékin, La Poste sera rémunérée 1,14 euro par son homologue chinoise. Une somme qui est toutefois loin de couvrir la totalité des coûts de distribution.

La Chine s'en tire donc à bon compte malgré des volumes expédiés considérables. Et pour cause, elle est encore considérée comme un pays en développement dans la classification établie par l'UPU. Ce qui lui donne le droit d'appliquer des tarifs préférentiels. À l'inverse, les pays les plus avancés s'acquittent de tarifs plus élevés lorsqu'ils envoient un colis de moins de 2kg. 

C'est justement cette classification qui est décriée par certains, à commencer par les États-Unis. Considérer la Chine comme un pays en développement peut effectivement sembler curieux sachant que le PIB chinois a été multiplié par 40 depuis 1980 et que la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale au début des années 2010. Ses défenseurs rappellent néanmoins que le PIB par habitant chinois est bien plus faible que celui des pays les plus avancés. 

Distorsion concurrentielle 

Pendant longtemps, le déséquilibre des frais terminaux était relativement faible "parce qu’il s’agissait essentiellement de lettres. Or, une lettre appelle une réponse", explique Jean-Paul Forceville, directeur des Relations européennes et internationales du groupe La Poste. Mais avec la percée du commerce en ligne "le système a commencé à poser problème", poursuit-il.

En effet, de nombreux vendeurs chinois ont utilisé l’avantage que leur confère le système de l’UPU sur les petits paquets internationaux pour multiplier leurs transactions à bas coûts. Au point d’inonder littéralement le marché du e-commerce. Leader mondial du secteur, la Chine a enregistré 900 milliards d’euros de ventes en ligne en 2018. On estime en outre que 40% des vendeurs tiers présents sur la marketplace d’Amazon aux États-Unis sont basés en Chine. Cette proportion atteindrait 47% en France.

Contactée pour commenter l’avantage concurrentiel dont jouiraient les vendeurs chinois pour envoyer leurs colis, l'UPU se dédouane en rappelant que "les accords internationaux qu'elle supervise ne fixent pas les prix qu'un détaillant ou un acheteur paie à un opérateur postal pour la livraison internationale d'envois postaux ou d'articles de e-commerce".

Menace américaine

Il n’empêche que les tarifs intérieurs des opérateurs postaux dépendent en partie du niveau des frais terminaux. "On a vu venir beaucoup de trafic par ce biais, du fait du caractère attractif" du système pour les e-commerçants chinois, reconnaît Jean-Paul Forceville. En 2016, les membres de l’UPU se sont réunis à Istanbul pour trouver une solution et ont finalement convenu d’une augmentation de la rémunération entre opérateurs postaux de 13% par an pendant quatre ans.

C’était sans compter sur l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, lequel a tapé du poing sur la table et réclamé un accord plus ambitieux. "À l’automne 2018, Trump a mis les pieds dans le plat en pointant du doigt une anomalie commerciale mondiale", raconte Julien Fontaine, consultant indépendant spécialiste du e-commerce. Et de déplorer "l’absence de l’Union européenne" dans ce dossier.

Outre-Atlantique, le tarif pour un colis de 2kg expédié d’un État à un autre est compris entre 19 et 23 dollars, selon l’USPS, opérateur postal américain. Dans le même temps, China Post rémunère l’USPS à hauteur de 5 dollars pour envoyer le même type de colis aux États-Unis. Dit autrement, les entreprises américaines paient plus cher l’envoi d’un petit paquet de Los Angeles à New York qu’un fabricant chinois pour l'expédition du même type de colis de Pékin à Washington. Selon Peter Navarro, conseiller économique de Donald Trump, ces subventions à l’importation ont coûté entre 300 et 500 millions de dollars à l’USPS.

Face à cette concurrence jugée déloyale avec la Chine, les États-Unis ont annoncé en 2018 vouloir se retirer de l’UPU afin de pouvoir fixer leurs propres tarifs postaux. Et la menace américaine a été prise très au sérieux. Fin 2019, les pays membres de l’UPU se réunissaient de nouveau à l’occasion d’un congrès extraordinaire à Genève visant à plancher sur une nouvelle réforme du système des frais terminaux.

Hausse des frais terminaux à venir

Washington a finalement obtenu gain de cause. À l’issue du congrès de Genève, les membres de l’UPU se sont mis d’accord pour que les États-Unis puissent dès juillet 2020 augmenter librement leurs tarifs facturés aux opérateurs postaux étrangers à la condition qu’ils ne dépassent pas 70% des tarifs intérieurs. En contrepartie, Washington devra payer huit millions de francs suisses par an à l’UPU jusqu’en 2025. Les autres pays membres qui reçoivent au moins 75.000 tonnes de courrier et de petits paquets internationaux par an pourront également fixer leur propres tarifs en respectant le même taux plafond à compter de 2021.

Avec cette possibilité pour les États membres de l’UPU de réviser leurs tarifs, les coûts d’acheminement des petits colis venus de Chine augmenteront. Une hausse qui risque d’être répercutée sur le consommateur. "Il est clair qu’une partie de ce qui vient de Chine va coûter plus cher", confirme Jean-Paul Forceville.

Des effets limités?

Mais tous les exportateurs chinois ne devraient pas être touchés de la même manière. Moins bien organisées logistiquement, les plus petits acteurs en contact direct avec le consommateur et qui vendent des petits colis individuels seront en première ligne et n’auront probablement d’autre choix que d’augmenter leurs prix pour compenser la hausse des coûts.

Pour les autres, l’impact devrait être relativement limité. D’abord parce que certaines entreprises ont déjà recours à des transporteurs du secteur privé pour les grosses expéditions et échappent ainsi au système de l'UPU. Ensuite, parce que les grandes plateformes de e-commerce comme Amazon proposent déjà des services permettant de leur confier ses produits afin qu’elles s’occupent de la vente et de l’acheminement. En clair, cela signifie que les vendeurs, bien qu’ils soient basés en Chine, ont la possibilité de stocker leurs articles directement dans des entrepôts situés en Europe ou aux États-Unis, ce qui permet de réduire les frais d'expédition. 

"On pense qu’on va avoir une baisse assez importante du trafic des petits paquets internationaux qui vont basculer sur d’autres systèmes", prédit Jean-Paul Forceville. "C’est de nature à renforcer encore le pouvoir des grandes plateformes chinoises, parce qu’elles sont mieux organisées logistiquement. Ce sera encore plus difficile d’être indépendants en Chine", estime-t-il.

Enfin, reste la "technique perverse du repostage" utilisée par certains vendeurs, explique Julien Fontaine. "Elle consiste à injecter du courrier d'un pays A pour un pays C dans un pays intermédiaire B, l'expéditeur du pays A pouvant obtenir des tarifs plus bas dans le pays B car fondés sur les frais terminaux et non sur les coûts de la poste d'arrivée", explique encore une note du Sénat. Un détournement qui permet donc de faire économies sur les frais postaux.

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