Mercredi 9 septembre, Joël se rend à la Poste de Beauvais pour réceptionner un colis expédié par Chronopost à son nom. Sur place, ce père de famille âgé d’une trentaine d’années se fait immédiatement interpellé. Le colis en question avait été contrôlé par les douanes à l’aéroport d’Orly comme contenant 550 g de cocaïne en provenance de Cayenne. Le colis avait alors été refermé et suivi par les autorités pour mettre la main sur son destinataire.
Il a récupéré le colis à la Poste de Beauvais
Présenté devant le tribunal de Beauvais, vendredi 11 septembre, Joël reconnaît immédiatement les faits qu’il justifie par des difficultés financières étant donné le contexte lié au covid : « Depuis quelques mois, j’étais dans le rouge, rouge !« . C’est donc pour se faire un peu d’argent facile, que ce grand homme noir portant des dreads a accepté la proposition d’un ami rencontré lors d’une soirée à Reims. Sa mission était simple : réceptionner un colis à la Poste moyennant 300 € de rémunération. Joel explique qu’il se doutait que ce n’était pas légal tout en tenant de minimiser sa responsabilité : « Ça aurait pu être des produits chimiques interdit, des tortues ou des serpents… si j’avais su que ça avait été de la poudre, je ne l’aurais pas fait !« . Une explication qui a du mal à convaincre le tribunal, il faut dire que le casier du prévenu ne joue pas en sa faveur : Joël a déjà été condamné à 4 ans de prison dont 2 avec sursis pour des faits de trafic de stupéfiants commis à Cayenne en 2009.
Un colis à 28000 €
Alain De Kermerchou, le magistrat qui préside l’audience souligne au prévenu la gravité de son acte : « S’il n’y a pas des personnes comme vous qui permettent de redistribuer les stupéfiants, il n’y a pas de trafic… C’est pas les gros bonnets qui vont le faire… Vous avez un rôle extrêmement important dans un trafic d’ampleur! » Malgré ses antécédents, la situation personnelle du prévenu ne colle pas à l’image que l’on pourrait se faire d’un délinquant multirécidiviste : cariste en CDI depuis une dizaine d’années, le prévenu est père de 4 enfants, il verse tous les mois une pension alimentaire à son ex-femme.
Un homme « bien inséré » mais avec un passé
Joël refuse fermement de donner des informations sur la personne qui lui a confié cette tâche. « Vous avez pris 3 minutes pour aller chercher un paquet, pas vu, pas pris, si on ne vous avait pas arrêté vous auriez recommencé ! Cela fait partie de la banalisation du trafic de stupéfiants qui déglingue la santé publique et vous n’en avez rien à faire ! » assène le juge. Dépité, Joël tente de se défendre en invoquant maladroitement l’importance qu’il accorde à la santé des enfants en tant que père de famille : « J’ai fait une erreur, je le reconnais…« . Une erreur qui pourrait lui coûter cher comme l’explique le juge : « Dans une autre juridiction et dans un autre siècle, un individu parfaitement inséré, travaillant et avec des enfants a été arrêté avec 30 kg de cannabis, il ne voulait pas parler, il a pris 3 ans de prison, point barre !« . 3 ans de prison, c’est justement ce que requiert la substitut du procureur en mettant en avant « l’explosion de l’usage des services postaux pour faire passer des stupéfiants » et en soulignant « la très faible collaboration du prévenu« .
Les petites mains
dans le viseur
Du côté de la défense, l’avocate de Joël s’insurge contre la « sévérité des réquisitions » qui correspondent, selon elle, à « la nouvelle politique gouvernementale visant à sanctionner les consommateurs et les petites mains… On essaie de couper des têtes au fur et à mesure !« . Elle regrette également un « manque d’investigations » : « M. s’est présenté comme une fleur au bureau de poste, il s’est fait cueillir… Il a donné le code de son téléphone… mais on n’a pas chercher à remonter plus loin !« . L’avocate met en avant la personnalité de son client et ses garanties d’insertion en soulignant qu’il est délégué syndical : « Il a fait des erreurs de jeunesse mais depuis 10 ans, on entend plus parler de lui, il travaille de nuit mais fait actuellement une formation pour pouvoir travailler également le jour, afin de résoudre ses problèmes financiers… Il faut lui donner une chance !« . Le tribunal ne l’entend pas de cette oreille, les magistrats condamnent Joël à 15 mois d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt. Le président d’audience pour expliquer la décision au prévenu conclut avec ses mots : « Il y a des infractions tellement invalidantes pour la santé des gens qu’on ne peut pas laisser passer !« .
Éclairage
En 2019, 22,9 tonnes de drogues interceptées via le fret postal
Si ce type d’affaires (lire ci-dessus) n’était jusqu’alors pas courante à Beauvais, au niveau national, l’utilisation des services postaux pour expédier de la drogue est un vrai phénomène.
« L’achat de drogues sur internet tend à augmenter »
En 2019, la douane française a réalisé 5 992 constatations en matière de stupéfiants dans les fret express et postal et intercepté 22,9 tonnes et 843 000 doses de stupéfiants. Pour ce qui est de la cocaïne uniquement, 1345 constatations ont été réalisées dans le fret express et postal et 615 kg saisies. Au total, tous vecteurs de fraude confondus, la douane française a saisi 8,8 tonnes de cocaïne en 2019.
Des douanes infiltrées sur le « darknet »
Selon les douanes, « depuis plusieurs années, l’achat de drogues sur Internet tend effectivement à augmenter« . Ces commandes sont principalement effectuées sur le « darknet » : « Nous engageons donc d’importants moyens pour surveiller ces sites, les infiltrer, identifier les vendeurs pour mettre un terme à leur trafic et ainsi saisir la drogue avant qu’elle n’arrive à son destinataire ».
Les « NPS », des nouvelles drogues de synthèse
Les produits expédiés peuvent être de différents types : « Il peut s’agir de drogues dites classiques (cannabis, cocaïne, ecstasy…), mais également de nouveaux produits de synthèse, les NPS qui sont des créations chimiques cherchant à imiter les effets des produits classiques et dont les effets sont extrêmement délétères pour la santé. Les colis sont également très employés pour acheminer de petites quantités de cocaïne (rarement au-delà de 3 kg) vers des destinataires métropolitains« . Les douanes tiennent à souligner le « rôle déterminant de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières pour contrecarrer ce type de cybercriminalité » : « Ses agents ont démantelé deux des plus importantes places de marché illégales du darkweb français Black hand (ou la main noire) et French Deep Web-Market« .
Jusqu’à 5 ans de prison
Concernant l’envoi ou la réception de drogue par voie postale, les douanes rappellent que ce délit est passible de 5 ans d’emprisonnement et que l’amende peut aller jusqu’à 5 fois la valeur de l’objet de la fraude.
Jimmy Hautecloche