La Blockchain peut-elle rendre le commerce en ligne plus fiable ?

Sur la Toile, l'avènement de plateformes de commerce en ligne comme Amazon, eBay, Leboncoin, ou encore Craigslist, aux États-Unis, et Alibaba, en Chine, ont permis à des particuliers du monde entier d'entrer en relation pour acheter et vendre des objets en tout genre. Comme il n'est guère prudent de se fier à un inconnu dont on ne connaît que le pseudonyme virtuel, ni d'acheter un produit dont on ne peut se faire une idée que par quelques photos, toutes ces plateformes se sont, au fil du temps, dotées de systèmes de réputation digitale.

L'idée a d'abord germé sur Amazon (alors simple libraire en ligne), en 1995. Le patron de l'entreprise, Jeff Bezos, souhaitait ainsi permettre aux internautes de repérer les bons et les mauvais vendeurs, mais aussi d'acheter des produits de meilleure qualité qu'en boutique, en bénéficiant de l'opinion des autres utilisateurs pour les guider dans leurs achats. Ce tout premier système de réputation digitale, fondé sur les notes (de 0 à 5 étoiles) que les internautes se donnent les uns aux autres, a été, au fil du temps, repris par d'autres types de plateformes en ligne, dont Yelp, Uber ou encore Airbnb, au point de constituer aujourd'hui un standard non seulement dans le monde du commerce en ligne, mais aussi dans l'univers de l'économie à la demande.

Un système de notation dévoyé par certaines marques

Cependant, ce système n'est pas infaillible, et ses défauts sont de plus en plus apparents. Dans un article paru en avril dernier, deux journalistes du Washington Post ont montré comment le système de réputation d'Amazon est actuellement gangrené par les marques qui paient des internautes pour rédiger de faux commentaires. L'objectif peut être de donner un coup de pouce à leurs produits, ou de descendre ceux des concurrents.

Pour certains produits parmi les plus populaires sur la plateforme, comme les enceintes Bluetooth ou les pilules pour accroître son taux de testostérone, plus de la moitié des commentaires seraient des faux. Et les progrès de l'intelligence artificielle ne vont pas arranger les choses : ainsi, plutôt que de rétribuer des internautes en chair et en os, certaines marques utilisent désormais des bots, qui peuvent publier à tour de bras de faux commentaires sans coûter un centime.

Lancée par trois jeunes entrepreneurs lituaniens, la startup Monetha souhaite résoudre ce problème. Pour cela, elle mise sur la blockchain, base de données décentralisée, célèbre pour servir de support au bitcoin. Son idée : utiliser le caractère public et sécurisé de la blockchain pour construire un système de réputation à la fois agnostique et inviolable. « L'ambition de Monetha est de mettre le cœur de la blockchain, à savoir la confiance, au service du commerce en ligne », explique Justas Pikelis, cofondateur de l'entreprise.

« Nous proposons, via une application mobile, un système de réputation pour le commerce de pair à pair, qui permet à l'acheteur de débourser son argent en toute confiance, car, la blockchain étant inviolable, il a la certitude que la note du vendeur n'a pas été manipulée. Le vendeur, de son côté, peut transférer sa réputation d'une plateforme à l'autre, et mettre à profit sur Alibaba ses bons points engrangés sur eBay », développe-t-il.

Tout comme celui d'Amazon ou de Yelp, le système de réputation de Monetha réside dans une note variant de 0 à 5 étoiles. Pour supprimer le risque de faux commentaires, Monetha a recours aux contrats intelligents, ces protocoles informatiques codés dans la blockchain qui ne se déclenchent que sous certaines conditions.

Ainsi, un internaute ne peut rédiger un commentaire que sur un autre compte auprès duquel il vient d'effectuer une transaction. Sans échange, pas de commentaire autorisé. Impossible, donc, de recruter une armée de bots pour plomber la note du vendeur proposant un produit concurrent : pour écrire un commentaire négatif, il faudrait auparavant que chaque compte associé achète le produit en question. Le fonctionnement de la blockchain, qui propose un registre public et inviolable de l'ensemble des transactions effectuées, permet un tel dispositif.

Instaurer une place de marché décentralisée

Lancée en janvier 2017, Monetha s'est rapidement rendue célèbre par une ICO spectaculaire. Une Initial Coin Offering est une levée de fonds en cryptomonnaies. L'acronyme fait référence au terme anglais Initial Public Offering, qui désigne une introduction en Bourse. Le 31 août 2017, la jeune pousse a en effet levé l'équivalent de 37 millions de dollars en cryptomonnaies, le tout en à peine 18 minutes ! L'application est pour l'heure téléchargeable en version beta. Le lancement officiel est prévu pour la fin du mois de juin.

L'ambition de Monetha est à la fois pratique et philosophique, puisqu'il s'agit pour la startup d'instaurer une place de marché décentralisée où les internautes puissent échanger en toute confiance de pair à pair, sans passer par de grosses plateformes.

« Nous souhaitons donner davantage de pouvoir aux individus, car sur une application comme Uber, ou une plateforme comme Amazon, les utilisateurs ne possèdent pas leur réputation, celle-ci appartient à l'entreprise. Nous souhaitons favoriser le commerce de pair à pair pour permettre aux internautes de se construire chacun une réputation numérique qui leur appartienne, sur le modèle du Bon coin, par exemple », explique Justas Pikelis.

Car pour l'entrepreneur, l'usage le plus décisif de la blockchain ne réside pas dans les cryptomonnaies, ni même dans l'échange de valeur, mais bien dans la possibilité d'établir la confiance sur la Toile. « Aujourd'hui, tout le monde parle de la possibilité d'échanger, car c'est ce qui semble le plus évident, à travers le bitcoin notamment. De la même manière, dans les années 1990, on pensait que les emails constituaient la quintessence du Net. Mais tout comme la Toile, la blockchain est un protocole, et l'échange de valeur n'est qu'une application parmi d'autres. L'usage le plus utile de la blockchain ne réside pas dans les cryptomonnaies, mais dans la réputation. »

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Par Guillaume Renouard, correspondant pour La Tribune à San Francisco