Fermés pour cause de coronavirus, les libraires toulousains confrontés à la concurrence des géants du commerce

C'est un crève-cœur pour les libraires : ils n'ont pu rouvrir leurs portes en début de semaine et ont dû mettre en chômage partiel l'essentiel de leur personnel. À Ombres Blanches, principale enseigne du secteur à Toulouse, 45 salariés sont concernés. Chez Privat, acteur historique du livre, 13 employés ont été invités comme tout un chacun à rester confinés chez eux.

Les fous de lecture espéraient continuer de se fournir sur les sites internet dédiés et notamment celui des librairies indépendantes. C'est désormais impossible car ils ont dû arrêter leur activité tour à tour pour des questions à la fois sanitaires et pratiques.

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« Nous avons essayé de poursuivre nos ventes en ligne mais cela s'est vite révélé impossible, explique Christian Thorel, fondateur d'Ombres Blanches. Deux structures sont en effet fermées : Dilicom, qui centralise l'envoi informatique des commandes, et la plate-forme Prisme, qui regroupe nos colis et les envoie. On n'est donc plus nourris. Et même si on l'était, la distribution va rapidement se compliquer. À la Poste, qui est notre principal interlocuteur, les demandes de droit de retrait se multiplient. »

Le ministre Bruno Le Maire s'en mêle

Ce jeudi 19 mars, le ministre de l’économie Bruno Le Maire a ouvert le chapitre de la vente des livres en période de confinement. Sur France Inter il a plaidé pour les commerces des libraires. Le ministre a estimé que les livres étaient des produits « de première nécessité ».

Il propose  qu’avec « le ministère de la Culture, sous l’autorité du Premier ministre, nous regardions s’il est possible de définir des règles strictes qui permettraient aux librairies de continuer à ouvrir, sous réserve, une fois encore, que les clients viennent un par un, qu’ils ne soient pas nombreux, qu’ils se contentent d’acheter le livre et de ressortir immédiatement […] ».

Puisque pendant le confinement, la vente de livres se poursuit déjà sur les plateformes et dans la grande distribution, la proposition de Bruno Le Maire a de quoi satisfaire les commerçants indépendants, c’est pourtant un autre son de cloche qu’on entend çà et là.

Les grands éditeurs fournissent encore Amazon et la Fnac

« On ne peut qu’être touché d’associer ainsi le livre aux produits de première nécessité comme le pain et les médicaments, apprécie Christian Thorel d'Ombres Blanches. Mais au moment où on annonce une avalanche de cas nouveaux de la maladie dans les dix jours à venir, je doute que la réouverture soit réaliste». Protection des équipes et des clients en priorité, exprime-t-il, « et c’est pour cela qu’on a fermé nos sites de ventes sur internet, comme Gibert ou Mollat, contrairement à la Fnac, et bien sûr Amazon… »

Une telle situation de blocage, les géants du commerce en ligne pensent s'en affranchir. Tout d'abord parce que les grands éditeurs (Editis, Hachette, Gallimard, etc.), qui ont pourtant décidé de décaler toutes leurs nouveautés jusqu'à fin avril, continuent de les approvisionner. Ensuite parce qu'ils gèrent parfois leur propre réseau de distribution.

Le Syndicat de la librairie française (SLF) s'émeut de cette « distorsion de concurrence », qui touche bien d'autres domaines comme le textile. Et sont bien décidés à agir pour qu'une telle situation cesse. « La poursuite des commandes et des retraits de livres via la grande distribution ou Amazon représente une hérésie sanitaire et une concurrence déloyale et nous appelons le gouvernement à y mettre fin », demande le syndicat professionnel.

Encore des livres chez les marchands de journaux

« Des réunions ont lieu à Paris à ce sujet, indique Benoît Bougerol, patron de la librairie Privat à Toulouse avec sa fille Anne. J'ose espérer qu'une décision forte sera prise dans les jours qui viennent. Et que les grandes enseignes n'auront plus rien à fournir quand ils auront vidé leurs étagères. Car nous, quand nos clients commandent, on doit leur répondre qu'ils devront patienter un moment pour recevoir leurs livres. La plupart le comprennent très bien et n'annulent rien. Mais que répondre à des parents d'élèves qui cherchent désespérément à acheter les livres que leurs professeurs leur ont demandé de lire pendant le confinement ? Les librairies fermées, on sait très bien sur quels sites internet ils vont aller se les procurer. »

« Il est intolérable qu'Amazon travaille avec d'autres conditions sociales que nous et qu'il continue à mettre en danger la santé de son personnel », ajoute Christian Thorel. Cependant, les deux libraires trouvent sympathique mais irréaliste l'idée de Bruno Le Maire. 

En ces temps inédits reste une solution alternative : se rendre chez certains marchands de journaux proposant quelques dizaines de livres, en général récents et grand public. « J'ai fait de grosses ventes ces jours-ci, précise le gérant du Mag Presse de la rue de la Concorde à Toulouse. En tête, les cigarettes, bien sûr, mais aussi les livres, tous les livres, pour enfants et pour adultes, que les gens emportent pour passer le temps. »

" L'hérésie sanitaire"

Le Syndicat de la librairie française a diffusé mercredi un communiqué dans lequel il soulignait "l’hérésie sanitaire" que représente la poursuite des livraisons et des ventes de livres sur les plates-formes internet et dans la grande distribution. Il rebondit sur les propositions, en apparence positives, de Bruno Le Maire, estimant que "les conditions de réouverture des librairies ne sont pas encore réunies".

Dans le souci de protéger leurs clients, leurs salariés et les livreurs, les librairies ont, dans leur quasi-totalité, suspendu tout service de retrait et de livraison et renoncé à une ouverture lorsque la vente d’autres produits comme la presse les y autorisait." Le coût économique pour notre profession sera considérable et nous avons tous hâte de rouvrir et de retrouver les lecteurs mais, aujourd’hui, la priorité sanitaire prime sur tout autre enjeu, y compris financier", insiste le Syndicat de la librairie française (SLF). Le ministre de l’Economie a évoqué ce jeudi matin sur France inter, l’hypothèse d’une réouverture des librairies pour répondre à la concurrence d’Amazon. Bruno Lemaire a témoigné, là, de son attachement aux librairies et au livre. "Sur le fond, nous le rejoignons totalement pour considérer la librairie comme un commerce de première nécessité et comptons sur son soutien afin qu’aucune librairie ne soit poussée à la fermeture par cette crise majeure, poursuit le SLF. Néanmoins, la profession des libraires ne souhaite pas répondre au risque sanitaire de la poursuite des livraisons de livres par Amazon par le risque supplémentaire qu’engendrerait une réouverture des librairies avec tous les contacts inévitables qu’elle entraînerait entre libraires et clients. A l’heure où l’on nous dit que le confinement des personnes n’est pas suffisamment respecté, une réouverture prématurée serait dangereuse." 
Et le SLF de revenir logiquement à ses demandes de la veille, à savoir que "les conditions strictes imposées par le gouvernement, dont la limitation maximale des contacts, s’imposent également aux opérateurs qui continuent, comme si de rien n’était, de vendre et de livrer des produits définis comme « non indispensables » dans la période actuelle".
Cette position est celle du Syndicat de la librairie française mais également des associations de libraires, régionales ou de spécialité.

(Source)