"Je n'imagine pas rentrer en France. Mais si les conditions pour rester après le Brexit deviennent trop exigeantes, je devrais peut-être me faire à l'idée." Comme des milliers de Français expatriés, Boris n'a pas envie de revenir au pays. Cet entrepreneur installé depuis trois ans et demi en Angleterre ne souhaite pas laisser derrière lui un business florissant de conseil aux entreprises. Et un environnement qu'il estime beaucoup plus favorable aux affaires.
A deux mois de l'échéance fixée au 29 mars, Boris fait pourtant part de l'incertitude qui pèse sur son avenir. "Je n'ai jamais vu un climat politique aussi déconcertant. Pour nous, il est difficile de savoir à quel type de Brexit il faut se préparer", s'inquiète-t-il. Un "Hard Brexit" risquerait en effet de durcir les exigences en matière d'immigration des Européens. Ils seraient environ 300.000 Français à vivre actuellement au Royaume-Uni, d'après France Diplomatie. Et d'après un sondage publié par le Figaro en novembre dernier, 13% d'entre eux aurait l'intention de quitter le pays, tandis que 25% hésiteraient encore.
Signaux contradictoires
En attendant, outre-Manche, les recherches de logements en France s'accélèrent. Et plus particulièrement dans la capitale, à en croire la plateforme d'annonce immobilière Seloger.com. Ces trois derniers mois, elle a enregistré 75% de visites supplémentaires venues du Royaume-Uni sur des annonces parisiennes. "C'est du jamais-vu", témoigne Michel Lechenault, responsable éditorial de Seloger.com. 55% des recherches se concentrent désormais sur la seule région Ile-de-France. "Ces internautes s'intéressent surtout à de grands logements familiaux, dans l'ouest parisien, dont les budgets sont de plus de 700.000 euros", rapporte l'analyste.
Ces internautes sont-ils des expatriés qui anticipent un déménagement, ou des Britanniques qui veulent investir ? Difficile de le deviner. Pour autant, ces consultations virtuelles ne traduisent pas forcément encore sur le terrain des achats. "Le Brexit n'a aucune incidence sur nos transactions", estime même François Flausino, directeur marketing du groupe d'agences immobilières Breteuil.
En septembre dernier, le groupe Breteuil avait tenté d'anticiper le potentiel flux de nouveaux clients. Le groupe a mené sa petite enquête auprès des lycées français à Londres, histoire de "palper" les intentions des expatriés. Résultat : sur dix établissements interrogés, huit déclaraient un recul du nombre d'élèves inscrits. Deux d'entre elles faisaient même part de désinscriptions. Un signal qui laissait présager d'un certain nombre de "Brexode" familiaux. D'autant plus qu'en juillet dernier, Europlace, la place boursière de Paris, espérait la création de 20.000 emplois directs ou indirects liés au Brexit. "Nous sommes un peu dans l'attente. On imaginait un peu plus de gens affluer" partage François Flausino.
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Et pourtant, un marché du luxe dopé par les expatriés
Même son de cloche du côté des notaires. Le Brexit a beau être tout proche, toujours pas de signes évidents d'un retour en masse des expatriés. "Depuis un an et demi, pas mal de Français reviennent. Leurs retours se font petit à petit : nous n'assistons pas à une vague soudaine, ni énorme, même si je ne vous partage là qu'une vision empirique", décrit Thierry Delesalle, notaire à Paris.
Seul le segment de l'immobilier de luxe semble surfer sur un effet "Brexode." En octobre dernier, le réseau d'agences immobilières de luxe Barnes constatait une hausse de 25% de ses transactions depuis début 2018. Barnes estime que les Français de l'étranger représentent désormais entre 8 et 12% de la clientèle dans les 8e, 16e et 17e arrondissements de Paris. Ces logements sont si prisés que les transactions se bouclent souvent en quelques heures. "Les expatriés qui ont réussi à vendre leur bien à Londres ont tendance à ne pas négocier. Leurs référentiels de prix sont plus élevés qu'en France", analyse Thierry Delesalle.
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Cet afflux de clientèle explique en partie les prix record sur les logements de luxe à Paris. Même si le réseau Sotheby’s International Realty France Monaco en nuance l’importance. "Bien que nous ayons vu un certain nombre de Français quitter Londres pour rentrer à Paris, l’impact total de ce mouvement a été assez limité" estime son PDG Alexander Kraft.
A en croire les professionnels du secteur, une part importante des acheteurs expatriés sont issus de l’industrie financière. Peut-être un signe des premiers transferts d’emplois bancaires de la City vers les autres places financières. "Plus les mois passent, et plus le Brexit devient concret. Il continue aujourd’hui de soutenir un marché immobilier qui était déjà déséquilibré", conclut Michel Lechenault.